Au pied de la Vieille Ville

Patrimoine

Taverne de la Madeleine: 100 ans sans alcool

A l’automne prochain, notre chère Taverne de la Madeleine fêtera son premier siècle d’existence. Emotion. Après tout, ils ne courent pas le pavé genevois les bistrots centenaires. Et celui-là ne ressemble à nul autre: il ne sert pas d’alcool. Il n’en a jamais servi. Voilà son credo vertueux autant qu’historique.

C’est la Société coopérative antialcoolique d’alimentation qui l’inaugure le 1er novembre 1920. En ce XXe siècle naissant, la dive bouteille fait encore des ravages, particulièrement chez les ouvriers. Il s’agit de proposer un lieu où les gens modestes puissent se sustenter à petits prix, mais sans picoler.

Il y a des préalables. Durant la Première Guerre mondiale, un groupe de dames charitables issues de la bonne société protestante exploite une cantine baptisée Le Coin du Feu. Elle sert la soupe aux démunis. Mais se retrouve aussi fréquentée par des messieurs plus aisés, heureux de trouver une enseigne où vin et gnôle ne coulent pas à flots. Après la guerre, une société d’abstinents Le Croissant propose aux militantes du Coin du Feu d’unir leurs forces. C’est ainsi que naît le premier resto sans alcool de la ville. Madame Maurice, née Lucile Théodora Turrettini, en prend les rênes. Succès immédiat. Et durable: la Taverne échappe aux bulldozers et aux grands chamboulements urbanistiques; traverse les décennies en demeurant active autant que sobre.

Notez que l’on leva tout de même le coude à l’emplacement de la sainte Taverne. Au cours des siècles, l’îlot abrita la célèbre Auberge de la Mule, un pressoir, des encaveurs variés et même un fabricant de vermouth. Il fallait bien un siècle d’abstinence pour écluser tout ça.

J. Est.

Tribune de Genève, 7-8 mars 2020